Le sport et moi, on a jamais été très amis. Il est dur d’apprécier le sport quand depuis petite, on est toujours, toujours, toujours bonne dernière dans n’importe quelle discipline*, quand on voit les autres faire tout si facilement alors que pour nous, tout est affreusement compliqué. Et c’est d’autant plus dur quand bien sûr, on a subi l’EPS au collège en tant que dys non diagnostiquée. On a de quoi faire en terme d’angoisse et de larmes : le sentiment d’être complètement à côté de son corps, les autres qui se moquent et qui te hurlent dessus en sport collectif, les profs qui râlent aussi, et bien sûr l’enfer de la constitution d’équipe où, bien sûr, on sera la dernière à attendre d’être choisie.
* (sauf peut être l’escalade. j’aimais bien.)
Et même avec un diagnostic, en fait. Les profs ne sont pas éduqués, et comme on a un handicap invisible, on a juste l’air de pas faire d’efforts. Je n’ai pas oublié la prof d’EPS que j’ai prévenue un jour, avec beaucoup de difficultés parce que je venais tout juste de recevoir un diagnostic… et qui m’a collé un 6/20 en volley alors que j’ai travaillé très dur tout au long du trimestre. Donc oui, je pourrais dire que comme beaucoup de dys ou aspergers, je suis traumatisée du sport.
Reste qu’il paraît que c’est bien. J’ai toujours été très très sceptique face au discours « le sport ça rapproche les gens et ça apprends la fraternité », parce que moi ce que ça m’a appris, c’est comment un groupe peut se monter contre la personne la plus faible et comment le fait de porter un survêtement est la parfaite excuse pour trouver tous les défauts physiques de l’autre. Je pense que les gens qui disent ça n’ont pas tout compris. Je pense aussi que forcer des ados qui n’ont PAS ENVIE de faire du sport, sans prendre en compte leurs différences, ça finit forcément mal.
Là ou j’essaie d’en venir, c’est qu’au début de l’année, j’ai tout de même décidé de prendre le pack sport pour avoir accès à des activités avec la fac. L’idée de base, c’était la natation. C’est bien, la natation, pas trop besoin de relations avec les autres, et a priori je suis plutôt à l’aise dans l’eau (j’adore nager), même si j’ai de grosses lacunes (en gros je ne sais nager que la brasse. En mode enclume.).
Et puis manque de chance, les heures ne me convenaient pas. J’ai pensé à trouver autre chose.
Du handisport.
« Le S.U.A.P.S vous propose des activités handisport (U.E.O,Bonifiant, Loisirs). Ces activités sont regroupées dans un cours spécifique, ouvert à tous, que vous soyez en situation de handicap ou non.
L’esprit en est résolument tourné vers la découverte de sports différents et l’échange tant physique qu’intellectuel entre les étudiants, au travers de pratiques mixtes.
La mixité est l’élément majeur recherché : c’est l’occasion d’une pratique entre camarades de promotion qui, sans matériel adapté, ne pourraient pas partager ces moments d’apprentissage, de plaisir et d’échange autour d’une activité sportive. »
Du sport adapté, on pourrait dire, non ? Et même si mon handicap n’est pas celui d’une personne en fauteuil, ou un handicap sensoriel (les handicaps cognitifs comme les troubles dys ne sont JAMAIS mentionnés dans les discours sur le handicap, malheureusement), c’en est toujours un, SURTOUT dans la pratique du sport. Les aménagements dont j’ai besoin sont plus psychologiques que matériels si je peux dire (explications claires, encouragements, voir que je fais des efforts par exemple). Je me dis en m’inscrivant à ce cours qu’en plus, je pourrais rencontrer d’autres personnes handicapées, quel que soit le handicap, ça pourra être chouette et intéressant. Je me surprends même à rêver de rencontrer d’autres dys.
OU PAS.
*RETOURNEMENT DE SITUATION AVEC UNE MUSIQUE DRAMATIQUE EN FOND*
Comment dire, j’arrive au cours toute contente bien qu’appréhendant, et la première chose que j’entends c’est « mais je crois qu’il y a que des valides dans le groupe cette fois. »
AH. Et moi, où est ce que je me situe ? Valide ? Pas valide ? A moitié valide ? Et puis tous ces élèves, je ne les connais pas, quand ils me voient, ils ne voient pas une personne handicapée. Je dis ? J’explique ? Je dis rien et reste considérée valide ? Et puis si je le dis, ils vont sûrement me dire que je n’ai pas un vrai handicap, de toute façon, non ? (très honnêtement, j’entends ça presque à chaque fois) Ou alors on va encore me sortir que je suis dyslexique (ça aussi, presque à chaque fois. Je devrais faire une liste de phrases en fait.)
C’est probablement ce qui me traverse l’esprit à chaque fois que je me demande si je dois en parler, à vrai dire. Et là c’est d’autant plus la panique, que c’est un cours de sport, et puis, là, je me sens un peu seule, du coup. Et je m’énerve un peu. C’est quand même un cours qui est censé mixer les valides et les handicapés, à la base, et je me retrouve toute seule, à devoir expliquer mon handicap invisible à des personnes qui vont pas forcément comprendre ! Ce n’est pas juste, je suis une minorité comme d’habitude..
Mais bon, je suis changée, j’ai réussi à échanger quelques mots avec mes collègues ce qui est plutôt magnifique vu ma panique et ma timidité, et c’est parti. Aujourd’hui et pour les 5 ou 6 séances à venir, c’est basket fauteuil. Du basket. Moi qui n’ai jamais réussi a dribbler ou à attraper un ballon, et qui déteste les sports d’équipe. Je flippe encore.
On doit aller chercher les fauteuils et mettre les roues dessus. Evidemment je suis un peu perdue et doit demander de l’aide plusieurs fois (« tu clippes la roue comme ça ! » hmmmm quoiiii ?). Une fois que c’est fait, on s’installe chacun dans un fauteuil, et puis le prof nous explique un peu deux trois petites choses, et on part faire des tours de gymnase ; en échangeant de fauteuil avec quelqu’un de temps en temps puisqu’ils sont tous différents. Que dire, il faut appréhender l’engin, mais globalement je trouve ça assez amusant, et tout le monde galère un peu. Un bémol sur ce fauteuil qui me faisait paniquer parce qu’il avait l’air de partir vers l’arrière parfois, malgré la roulette, me faisant pousser des cris d’écureuil paniqué (des. des cris aigus quoi. style « SQUIIIIIIH »)
Viens le temps de la présentation. Le prof qui se présente, et explique un peu plus le principe du cours. Découvrir que le handisport est autant un sport que les autres, et que les personnes handicapées sont autant des personnes que les valides si je peux dire (c’est pas évident pour tout le monde !), et toutes ces choses avec lesquelles je suis bien d’accord. Le handisport pour les valides sert ici à leur faire comprendre, par le corps, dans quelle situation peut être une personne handicapée. Et des choses comme le basket fauteuil qu’on a pratiqué ce jour là, je dois dire que ça marche aussi pour expliquer un peu la situation d’un dyspraxique. Je développerai ça plus tard. Chacun-e se présente et dit dans quoi il-elle étude, pourquoi il-elle est là. Je détonne en Arts du Spectacle, alors que tout le monde vient de psycho, droit ou carrières sociales.
« Et toi qu’est ce qui t’amènes ici ? »
« …. B-Bon euh eh bien en fait j’ai un petit handicap qui s’appelle la dyspraxie, c’est pas exactement pareil que ce dont on parle, et, euh, ça m’a un peu amenée ici, euh voila »
Je m’attends au grand blanc, au « QU’EST CE QUE C’EEEEEST », à des questions, à tout, sauf à « oh okay » du prof et tout le monde qui réagit de la même manière, c’est cool, c’est normal. Et après, le prof m’inclut quand il parle du handicap, en tant que personne handicapée.
Je–
C’EST MAGNIFIQUE.
Donc déjà, j’ai le sourire, je panique beaucoup moins.
Et la suite du cours ? Soyons clair, c’est dur pour tout le monde. Certes, je suis un peu lente, mais au final je suis à peu près égale aux autres, et c’est bien la première fois. On fait des exercices, avec ou sans ballons, pour acquérir plusieurs réflexes (j’ai cassé quelques ongles à l’apprentissage du freinage), pour apprendre à ne pas se foncer dedans (plus dur que ça en a l’air !), etc. Tout au long, on est plutôt pas mal encouragés, jamais vraiment critiqués, plutôt conseillés. En ce qui concerne mes collègues, ils sont tous compréhensifs. Bref, c’est cool, et c’est rigolo. Après, on a fait des matchs et je me suis franchement amusée, et on a beaucoup ri. ET LE PROF A JOUE. JE REPETE. LE PROF A JOUE AVEC NOUS AU LIEU DE RESTER DANS UN COIN A NOUS CRIER DESSUS. (oui j’ai de magnifiques souvenirs de mes profs de collège/lycée…)
C’est très, très rafraîchissant d’entendre un prof me dire « C’est bien ! » en SPORT, de me sentir encouragée. Je suis sérieuse. Je n’ai pas l’habitude, vraiment pas.
Et en fait, je trouve le basket fauteuil plus adapté pour moi que la discipline des valides. C’est tout bête : en fauteuil, je ne dois m’occuper que des mes bras, et de mon buste. Pas de mes jambes (même s’il faut vraiment que j’arrête de lever les fesses dès que je veux marquer un panier, ooouuh). Courir en faisant attention à plein d’autres choses, c’est dur. Utiliser mes bras et mes jambes en même temps, c’est dur.. N’utiliser que la partie haute du corps, ça me facilite un peu les choses.
Comme je l’ai dit, je pense que d’être un peu plus en situation d’égalité avec les autres aide bien aussi.
Et puis en fauteuil, on a plus d’espace personnel, je me soins moins menacée quand quelqu’un s’approche, on a une plus grande « bulle » autour de nous (ce qui amène quelques collisions aussi parce qu’on s’en rend un peu moins compte)
Quand après les matchs, on énumère les difficultés par rapport au basket valides, certaines me sont particulièrement amusantes. « C’est dur de faire des passes » : Je ne savais pas en faire debout non plus… « c’est dur de marquer au panier » : ça ne change rien pour moi encore une fois.
Je ne suis donc pas en fauteuil, mais d’une certaine manière ça met quand même les autres en situation de dyspraxie : être perdu sur le terrain, ne pas savoir comment faire le mouvement qu’on veut faire (faire les virages en fauteuil est encore assez laborieux), devoir réfléchir tout le temps et rater la moitié de ses passes parce qu’on arrive plus à juger les distances… ça m’est très, très familier.
C’est donc très, très positif, c’est bien la première fois que je m’éclate en sport et que j’ai pas envie de pleurer parce que je n’y arrive pas, que je me sens intégrée, et écoutée. Je me suis vraiment amusée, j’ai bien ri, et je suis super fière de moi, même si je suis rentrée épuisée, avec les ongles en sang (les freinages…)
A la fin, on m’a posé des questions sur la dyspraxie, mais gentiment, sans m’agresser. Je suis en train de me dire que je ferai bien une petite « simulation dyspraxie » si j’avais le matériel d’ailleurs, un jour peut-être.
Ces prochaines semaines, on va continuer le basket, mais par la suite on va apprendre à connaître d’autre disciplines de handisport, pas forcément pour les handicaps moteurs d’ailleurs. J’en présenterai peut-être d’autres ici.
Le handisport c’est chouette !